EXTRAIT DE "LES PIERRES QUI TOMBENT"
Les pierres qui tombent
Elles tombent des nues, parfois
Et vont, de Charybde en Scylla,
Tombant partout, tombant sur nous,
Tombant sur nos beaux rêves fous.
Elles tombent des murs, souvent,
Comme les tuiles de nos toits,
Comme la neige, au gré du vent,
Vient se poser sur nos émois.
En flocons, les pierres qui tombent
Comme des larmes sur nos tombes,
Sur nos âmes comme des ombres,
Sur nos cœurs, comme un voile sombre.
Pluie de poussière dans la nuit,
N'ayant que l'ennui à conter
Puisque nous n'avons aujourd'hui
Plus que nos yeux pour en pleurer.
​
Elles fracassent de leur poids
Le moindre espoir, de ci, de lÃ
Et réduisent en éphémère
L'infini des imaginaires.
Est venu le temps de tomber
Pour les jolies pierres d'antan.
Les arches et tuffeaux sculptés
Ne sont plus que gravats gênants.
Nos jolies vies, chantiers naissants,
Deviennent ruines et caveaux.
Sous les cendres de nos avants
Naissent les fleurs d'un jour nouveau.
​
Les inachevés
Sous un ciel de coton,
Baladant mon esprit
Dans les prés verdoyants
De mon imaginaire,
Écoutant les bourdons
Et le vent qui s'enfuit
Et les oiseaux, chantant
En s'envoyant en l'air,
J'ai soudain repensé
À tous ceux que je n'ai...
Tous ceux que je n'ai pu...
Ceux qui sont restés là ,
Sous la pile, oubliés,
Pétrifiés, à l'arrêt.
Ceux pour qui jamais plus
D'espoir il n'y aura.
​
Ces petits tas de pierres,
Ces cailloux entassés,
Ces tout petits murets
Qui se voulaient murailles.
Tous ces Je voulais faire.
Tous ces J'ai oublié.
Tout ce qui nous tenait
À cœur, jusqu'aux entrailles.
Je veux parler de tous
Ces morceaux de papiers,
Ces départs, ces envies,
Ces si bonnes idées.
Tout cela me rend fou.
Tous ces mots, alignés...
Tous ces morceaux de vie...
Tous ces inachevés.
​
Il y a ce poème
Auquel il manque un vers
Et qui reste muet,
Qui reste là , sans bruit.
Il y a ce je t'aime,
Il y a tout l'enfer
D'une idée qui naissait,
D'une idée qui s'enfuit.
Il y a ces chansons,
Ces couplets, ces refrains,
Ces importants messages
Que l'on voulait passer
Qui, parfois, pour un non,
Pour un oui, pour un rien,
Disparaissent, s'écrasent.
Tous ces inachevés.
​
Il y a ces histoires
Et tous ces personnages
Qu'on laisse là , plantés,
Figés, les bras ballants,
Enfermés dans le noir,
Le cœur dans une cage
Quand l'auteur, épuisé,
Est parti en courant.
Et les Chapitre Un
Qui réclament un Deux,
Les belles envolées,
Les Nous nous reverrons.
Les lignes d'une main
Coupées en plein milieu.
Les univers créés,
Laissés à l'abandon.
​
Tout ce qui disparaît.
Les questions, les aveux.
Tous ces mots avortés,
Ces si belles pensées,
Je voulais aujourd'hui
Penser un peu à eux,
Cadavres alignés
Couverts de chaux. Charnier.