La machine à mots
Martin était assis sur une chaise en bois. Il était assis là, au milieu du parking de cette grande surface. Une lune ronde et blonde éclairait son ombre fluette, laquelle était, d’ailleurs, sa seule compagnie depuis qu’il faisait nuit… depuis des heures déjà… depuis des jours, en fait. Il avait attendu que se calment la ville et le tohu-bohu des moteurs enragés. Il avait attendu que cessent les injures et les vaines menaces de ces conducteurs fous, tous prêts à s’égorger les uns les autres pour des motifs souvent bien futiles. Il avait posé, là, sur ses genoux cagneux, sa jolie machine à écrire. C’était une vraie, une Olympia. Il l’avait vue dans la vitrine du magasin, trois mois auparavant. D’un beau bleu pétrole, elle lui avait tapé dans l’œil. Sans tergiverser d’aucune sorte, il était entré dans l’échoppe et l’avait achetée sur le champ. Après tout, ces quatre cent quatre-vingt-dix-neuf euros, il ne les emporterait pas dans la tombe, alors…
Il était donc là, bien au chaud, dans son petit anorak rouge et assis sur sa petite chaise. Sa machine à mots sur les genoux, il attendait que s’éteignent les lampadaires. Quelques minutes s’écoulèrent avant que les dernières vigies ne vacillent, pour enfin s’assoupir totalement tout en haut de leur mât. Il se mit alors à taper sur les touches de son appareil. Quelques lettres plus tard, cinq ou six, tout au plus, la nuit tomba sur la vie toute entière, comme tomba Martin, sur le bitume froid. La machine à écrire s’écrasa sur le sol. Sur la feuille de papier qui y était accrochée, on pouvait lire : THE END.